Vieux Chemin de Louvain à Hamme-Mille – Menait-il à Louvain ?

Par Bruno Van de Casteele, Hamme-Mille. Cette article est apparu en deux fois dans le Bulletin du Centre Culturel de la Vallée de la Néthen en 2015. Voici donc l’article complet, avec un petit ajout à la fin.

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Deux vues de la « rue de Hamme » : ancienne (carte postale) et actuelle. Photo de droite par l’auteur

Le Vieux Chemin de Louvain est une rue très connue à Hamme-Mille. Certains l’appellent encore le « Voÿe d’Hamme » ou « Chemin de Hamme », ce qui est vraisemblablement son nom d’origine[1]. Le nom officiel est « Vieux Chemin de Louvain », il démarre du carrefour des rues de Tourinnes, Gabriel Marcelier et Auguste Goemans, passe par le lieu-dit « Le Plain » (où l’on retrouvait déjà en 1685 un pont en briques et pierres sur la Néthen), remonte via un chemin creux asphalté et se termine au carrefour des rues de Valduc, de Bierbeek et du Cimetière près de la forêt de Meerdael. Au 19e siècle la rue G. Marcelier portait également le nom de « Vieux Chemin de Louvain », ce qui le rallongeait considérablement. Je me suis longtemps posé la question de savoir s’il menait vraiment à Louvain et je pense avoir trouvé la réponse.

L’actuel Vieux Chemin de Louvain (carte Bing)

L’actuel Vieux Chemin de Louvain (carte Bing)

Le nom

On retrouve les premières traces écrites du nom « Vieux Chemin de Louvain » dans le registre du cadastre créé par le cartographe Popp au 19e siècle (atlas dessiné entre 1840 et 1870).

Détails de la carte Popp sur Hamme-Mille, montrant une partie du Vieux Chemin. La chaussée de Louvain est en haut à gauche et la rue indiquée comme « Chemin du Moulin de Litrange » est l’actuelle rue Scheers

Détails de la carte Popp sur Hamme-Mille, montrant une partie du Vieux Chemin. La chaussée de Louvain est en haut à gauche et la rue indiquée comme « Chemin du Moulin de Litrange » est l’actuelle rue Scheers

Le nom actuel de la rue comprend trois mots clés. Le mot « chemin » est assez clair. Certains habitants se souviennent encore que dans les années soixante, la rue n’était pas asphaltée. Elle le fut au début des années 70 (avant la fusion) par  l’ancienne commune d’Hamme-Mille. Avant c’était de la terre battue[voir remarque à la fin]. Grande différence avec la chaussée de Louvain qui, elle, était pavée depuis le début[2].

Deuxième mot clé « vieux ». Un tel adjectif doit être mis en rapport  avec  « nouveau », donc nouveau chemin vers Louvain. Je pense qu’il est clair que cette nouvelle route n’est rien d’autre que  l’actuelle chaussée Louvain-Namur mentionnée ci-dessus, construite entre 1754-1757 par ces deux villes sous l’auspice des autorités autrichiennes. Il est très probable que suite à cette construction, on a commencé à parler du « vieux » chemin menant vers Louvain. Je soupçonne que c’est ce nom (et non pas le nom original de « voie de Hamme ») qui a été repris dans les premiers cadastres officiels du 19e siècle, pour une raison encore inconnue.

Menait-il à Louvain ?

Ces deux mots nous indiquent déjà que ce chemin menait vraiment vers Louvain. Si vous prenez une carte et que vous prolongez l’axe de cette route, vous arrivez plus ou moins à Louvain. Cet axe étant plus un indicateur de direction et d’orientation dans le paysage, on peut tout de même se poser la question de savoir par où elle allait à Louvain. Il semble difficile, à première vue, d’identifier un tel tracé. De plus, il y avait d’autres routes allant également dans cette direction.

L’historien Joseph Schayes parle dans ses œuvres de « l’ancienne voie royale qui reliait Namur à Louvain, capitale du Duché de Brabant. Venant d’Incourt par Roux-Miroir et Piétrebais, elle traversait Tourinnes où elle portait en 1356 le nom de cogniche voye à l’heure actuelle collés voie (du flamand koningsweg), se continuait par Mille, la forêt de Meerdael, Blanden pour aboutir à la porte de Namur à Louvain. Une déviation passait par Beauvechain, Molendael, Haesrode ». Cette voie était sans doute plus importante pour le trafic à longue distance. Notre modeste « vieux chemin » avait plutôt une orientation locale.

Ceci est d’ailleurs partiellement corroboré par toute absence de ce chemin sur d’anciennes cartes. Rien d’anormal évidemment, car ces cartes n’étaient pas des cartes routières détaillées comme on les connait maintenant,  mais avaient un but militaire ou de prestige. Exemple, j’ai retrouvé une carte de l’ancien Duché de Brabant de 1662 où il y a un chemin venant de Perwez via Incourt et Piétrebais allant vers Louvain en passant par Hamme et Valduc côté est.

Détails de la carte de 1662, le nord se trouve côté droit. La forêt de Meerdael n’est pas indiquée. Pour info : Perwijs=Perwez, Hertogendale=Valduc. Tourinnes et Beauvechain sont indiqués avec un cercle non libellé

Détails de la carte de 1662, le nord se trouve côté droit. La forêt de Meerdael n’est pas indiquée. Pour info : Perwijs=Perwez, Hertogendale=Valduc. Tourinnes et Beauvechain sont indiqués avec un cercle non libellé

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Détails d’une carte de 1635 (avec aussi le nord côté droit) montrant un autre chemin venant de Bossut vers Bierbeek. Peut-être que l’ancien chemin n’est pas indiqué pour une raison politique, Tourinnes (« Doren ») appartenant au prince-évêque de Liège. La forêt de Meerdael forme ici une unité avec le bois d’Heverlee

Détails d’une carte de 1635 (avec aussi le nord côté droit) montrant un autre chemin venant de Bossut vers Bierbeek. Peut-être que l’ancien chemin n’est pas indiqué pour une raison politique, Tourinnes (« Doren ») appartenant au prince-évêque de Liège. La forêt de Meerdael forme ici une unité avec le bois d’Heverlee

A la recherche d’un chemin perdu

Mais revenons donc à notre question initiale. La désignation « vers Louvain » date du temps où les habitants d’antan voulaient se déplacer vers Louvain. La question est donc, comment ?

Quand on arrive à la fin de l’actuel Vieux Chemin de Louvain, à la petite chapelle dédiée à St-Roch, on a plusieurs possibilités pour continuer.

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Carte Bing du carrefour à la chapelle St-Roch

La rue du Cimetière nous ramène vers la chaussée et peut-être vers le bois St-Nicaise. La rue de Valduc nous emmène aussi vers la chaussée (pour rappel, elle n’existait pas avant 1754). Vu que sur la carte Popp on la retrouve sous le nom de « ruelle des Bœufs » (encore actuellement le nom du chemin qui longe le mur côté nord du Château de Valduc) et qu’on retrouve encore des traces de chemins servitudes de l’autre côté de la chaussée (ancien pont du vicinal), on peut supposer que son but était de desservir les champs jouxtant la forêt de la Meerdael. Il reste donc l’actuelle « rue de Bierbeek » (auparavant aussi rue des Bœufs), qui mène vers le château de Valduc, ancienne Abbaye. Néanmoins, son tracé est un peu étrange et l’utilisateur de jadis aurait sûrement préféré prendre la prolongation de la rue des Messes via l’abbaye sans devoir monter et redescendre les hauteurs. Alors, une énigme ?

Heureusement que d’anciennes cartes existent. Des cartes historiques nous montrent un chemin actuellement perdu, qui continue dans l’axe du Vieux Chemin. Les cartes Vandermaelen (1850) de l’IGN (Institut Géographique National) montrent, elles aussi, un petit chemin, voire même une drève, entre deux rangées d’arbres. La carte Ferraris de 1777 montre également ce chemin sans ces arbres et avec la forêt qui s’étend plus vers le sud. Entre ces deux cartes citées, il y a donc eu déboisement pour raisons agricoles.

Détails de la carte Vandermaelen (1850), indiquant un chemin actuellement perdu longeant la frontière communale

Détails de la carte Vandermaelen (1850), indiquant un chemin actuellement perdu longeant la frontière communale

Détails des cartes IGN de 1884 (gauche) et 1895 (droite). A gauche, il ne reste déjà que la partie dans le bois et une drève jusqu’au sommet (« 95 »). A droite, ce chemin a presque complètement disparu, il ne reste qu’une ébauche du début. Remarquez que sur cette carte, le tram existe déjà (côté ouest de la chaussée)

Détails des cartes IGN de 1884 (gauche) et 1895 (droite). A gauche, il ne reste déjà que la partie dans le bois et une drève jusqu’au sommet (« 95 »). A droite, ce chemin a presque complètement disparu, il ne reste qu’une ébauche du début. Remarquez que sur cette carte, le tram existe déjà (côté ouest de la chaussée)

Détails de la carte Ferraris (1777) avec la continuation du Vieux Chemin de Louvain

Détails de la carte Ferraris (1777) avec la continuation du Vieux Chemin de Louvain

Ce chemin a aujourd’hui disparu, une maison y a été bâtie. On peut encore deviner le tracé entre des terres agricoles et un terrain boisé, mais en arrivant dans le lotissement « Matexi » (rue du Petit Paradis) le chemin disparait à nouveau, des maisons y ont été construites.

Vue du Vieux Chemin de Louvain, au centre de la photo et en regardant vers le sud, actuellement un champ agricole. Photo auteur

Vue du Vieux Chemin de Louvain, au centre de la photo et en regardant vers le sud, actuellement un champ agricole. Photo auteur

Heureusement on peut la retracer… dans la frontière provinciale et linguistique. Car étrange hasard historique, ce lotissement se trouve  à cheval entre deux régions. Quelques jardins sont bi-régionaux, une maison se trouve même nettement sur deux communes (Bierbeek et Beauvechain).

Détails de la carte cadastrale actuelle. La ligne pointillée avec des cercles est la frontière communale avec Bierbeek. La ligne pointillée avec des plus est la limite d’une « feuille cadastrale », et montre partiellement l’ancien tracé du Vieux Chemin à partir de la chapelle. Remarquez que la carte cadastrale telle que publié a un petit décalage entre la Flandre et la Wallonie

Détails de la carte cadastrale actuelle. La ligne pointillée avec des cercles est la frontière communale avec Bierbeek. La ligne pointillée avec des plus est la limite d’une « feuille cadastrale », et montre partiellement l’ancien tracé du Vieux Chemin à partir de la chapelle. Remarquez que la carte cadastrale telle que publié a un petit décalage entre la Flandre et la Wallonie

Une photo satellite d’aujourd’hui  peut facilement prouver que ce chemin menait bien par là. Plus loin dans le bois, on peut retrouver notre cher Vieux Chemin. Un petit chemin s’est créé dans le bois à côté de l’ancien tracé derrière les jardins de ce lotissement afin que des promeneurs et des cyclistes puissent se balader à leur guise. Pour les derniers mètres boisés de la Région Wallonne, on retrouve une petite perle … un ancien chemin creux qui, non seulement est très beau, mais en plus nous projette  des siècles en arrière…

Le Vieux Chemin de Louvain, arrivant à la Première Drève dans la forêt. Photo auteur

Le Vieux Chemin de Louvain, arrivant à la Première Drève dans la forêt. Photo auteur

 

Le restant du Vieux Chemin dans le forêt

Nous avons pu redécouvrir notre Vieux Chemin dans la forêt comme joli chemin creux. Ce véritable « vieux » chemin s’arrête à première vue à la « Première Drève » dans le bois. On peut d’ailleurs supposer qu’il date d’avant cette première drève, car celle n’est pas reprise sur la carte Ferraris de 1777. Le nom « Première Drève » n’a d’ailleurs du sens qu’après la construction de la chaussée (bien que la carte IGN de 1895 nous parle d’« avenue du Chancelier »).

On peut encore apercevoir dans la forme du terrain qu’un chemin allait plus loin, comme d’ailleurs indiqué sur les cartes IGN reprises ci-dessus. J’ai voulu continuer à pied mais la végétation est vraiment trop dense.

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Végétation trop dense, mais un chemin y existait bel et bien. Photo auteur

J’ai fait le tour, mais du côté flamand, plus aucune trace n’est visible. Cette fois, le chemin se perd vraiment. Et les anciennes cartes ne nous aident pas non plus. La carte Ferraris par exemple arrête ce chemin à la chaussée. On peut donc supposer que ce chemin soit déjà quasi abandonné à ce moment. Ceci est à mon avis dû à deux raisons. D’abord car ce « vieux » chemin n’avait plus de raison d’être, car dans le forêt elle se trouvait à côté d’une chaussée pavée et donc plus facilement praticable. M. Genicot, dans son livre sur les routes de la Belgique depuis 1704, nous livre les arguments économiques et de confort. Ainsi les voyageurs préféraient les nouvelles chaussées pavées au lieu des anciens chemins, même si (à d’autres endroits) le tracé est plus long. On peut d’ailleurs supposer que la voie royale mentionnée par J. Schayes a subi le même sort.

Deuxièmement, comme indique S Adriaenssens en 2006 dans son thèse pour obtenir sa licence en archéologie, le comte d’Arenberg, propriétaire du foret de Meerdael, fut construire des chemins droits en style « échiquier » à partir de 1727. Ces chemins, telle que la drève Prospère, étaient aussi un fameux concurrent pour notre « vieux chemin ». On peut donc comprendre que ce chemin ne figure presque plus sur la carte Ferraris – elle fut abandonnée depuis presque 50 ans.

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Détails de la carte Ferraris

En Flandre il n’y a donc plus de trace de ce chemin. Je pense qu’il a disparu dans la sablière ou dans d’autres aménagements dans le bois, mais ce chemin existe vraiment. Sur les cartes cadastrales actuelles on peut encore y retrouver un « chemin », mais qui ne correspond plus à un chemin existant sur les cartes anciennes ou actuelles.

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Indication spéculative sur l’emplacement du Vieux Chemin dans le bois. A noter que la carte cadastrale retient encore l’entrée de la drève vers la Warande, déplacée vers le sud pour permettre le passage du tram

Une carte cadastrale n’est malheureusement pas un atlas géographique, c’est un instrument fiscal. Il n’est donc pas possible de prouver que ce chemin existait, mais elle indique quand même qu’il pouvait y en avoir un, car les autorités l’ont repris sur un outil de taxation.

Si l’on suit l’indication de cette carte cadastrale en y respectant un peu le relief (mais c’est de la pure spéculation basée sur quelques lignes pointillées sur la carte Ferraris), on arrive à Blanden. Ou bien, notre Vieux Chemin sortait du bois à l’actuelle rue Alex Vermaelen (petit chemin aussi repris sur la carte Ferraris), ou bien rue des Chartreux qui est dans la prolongation du chemin de la chapelle Saint-Corneille à Mille. Je suspecte d’ailleurs que ce dernier est la Voie Royale. Dans les deux cas, on arrive dans une grande baie dans le paysage boisé. Le Vieux Chemin de Louvain n’aurait que 2,5 km de forêt, la plus courte distance à travers la forêt, faisable en moins d’une heure de marche. Probablement préférait-on un chemin plus court pour des raisons de sécurité.

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Détails de la carte Vander Maelen, indiquant potentiellement où notre Vieux Chemin aurait pu sortir de la forêt.

Conclusion

En conclusion, on peut considérer que le Vieux Chemin de Louvain était anciennement  beaucoup plus long que maintenant. Il emmenait les villageois locaux plus que probablement vers Louvain. Ils préféraient ce tronçon plutôt que le détour via l’est (6 km pour n’arriver qu’à Haasrode à partir de Hamme au lieu de 3 km vers Blanden à travers la forêt). Suite à la création de la chaussée Louvain-Namur et d’autres chemins créés dans le forêt, ce chemin fut moins utilisé et, excepté pour des besoins locaux, fut abandonné. A certains endroits les champs ont repris ce chemin, dans d’autres des habitations apparurent. Personnellement, ce fut un grand plaisir de retrouver ce chemin « un peu perdu » (mais pas complètement) s’égarant dans l’histoire.

Merci à Marie-José Frix pour avoir relu ma texte.

Sources

[1] Je remercie les personnes du groupe Facebook “Si tu es de Beauvechain” et spécialement Robert Vanloffelt pour avoir attiré mon attention sur ce nom.

[2] Pour plus d’informations, voir l’article sur le blog Un Regard sur Beauvechain, « Les travaux terminés, avec un peu d’histoire… » sur http://unregardsurbeauvechain.be (octobre 2013)

[Remarque] Une habitante de Hamme-Mille m’a fait remarquer une petite erreur: la partie « en bas » du Vieux Chemin de Louvain était déjà longtemps asphaltée/bétonnée. J’ai ici confondu une partie de Vieux Chemin, notamment la partie qui monte vers la rue de Valduc, avec l’entièreté de la rue. La partie montante était effectivement qu’asphaltée dans les années soixante. Les gens du village appelaient cette partie d’ailleurs la « chavée »…

Une carte géographique datant de 1951-1952 montrent effectivement l’état de la route non-asphaltée

Une carte géographique datant de 1951-1952 montrent effectivement l’état de la route non-asphaltée

J’ai retrouvé cette carte sur Cartesius.be, un nouveau site contenant plein de cartes et photos aériennes historiques. Vaut la visite !

3 réflexions sur “Vieux Chemin de Louvain à Hamme-Mille – Menait-il à Louvain ?

  1. vous me passionnez beaucoup. Je suis intéressé par tout cela.
    Petite erreur dans la phrase  » Merci à Marie-José Frix pour avoir relu ma texte » (MON texte)

    • Merci ! Je corrige tout de suite- et bien évidemment elle n’avait pas relu cette phrase…

  2. Très intéressant ce tracé , mais le trajet de l ‘ anciènne chée de Namur vers Haasrode et l ‘ abbaye de Park à travers le bois de Meerdaal est encore plus intéressant ! Observateur du paysage en vtt depuis 35 ans j ‘ ai beaucoup étudier la question ! Voir balades AEB vtt , première le dimanche 17 avril de 14 à 17 h . Yves 0499 10 65 56

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